2005 ICRP Recommendation


Draft document: 2005 ICRP Recommendation
Submitted by BARESCUT Jean-Claude, IRSN
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Les recommandations de la CIPR montrent un déséquilibre important entre un système prescriptif abondant en chiffres d'une précision injustifiée et un fonds scientifique limité qui n'a que peu progressé depuis les précédentes recommandations. Par ailleurs, la CIPR reste confinée à une approche très isolationniste de la protection radiologique. Cela peut se justifier dans les cas où le risque radiologique est un risque dominant mais certainement pas dans les situations courantes pour lesquelles ce risque est noyé dans un bruit de fonds incluant une quantité d'autres sources de stress en plus de la radioactivité naturelle et de la radioactivité ajoutée. On peut dans ces conditions s'interroger sur l'applicabilité au public et à l'environnement d'un système qui semble plutôt adapté aux besoins des travailleurs. La faiblesse scientifique la plus grave réside dans le concept de dose. La CIPR privilégie un indicateur unique pour évaluer le risque radiologique, elle fait l'hypothèse qu'à valeur égale de cet indicateur tous les risques sont égaux, ce qui lui permet d'accorder une place particulière à la dose correspondant au bruit de fonds naturel. Il est exact que la notion de dose fondée sur l'énergie libérée dans les tissus fonctionne bien dans des cas précis. La question est de savoir si une extrapolation est possible dans des conditions très éloignées de ces cas. Des considérations simples et quelques analogies permettent d'en douter. La dose fonctionne bien dans des cas pour lesquels le nombre de degré de liberté est quasiment de un. C'est le cas lors d'une irradiation gamma brève et intense dont la source est externe à sa cible car alors tous les constituants du tissu cible (s'il n'est pas trop épais) ont une probabilité égale d'être affectés par des ionisations. Cette distribution de probabilité étant uniforme, on conçoit qu'un seul paramètre puisse contenir l'information. Le couple intensité de la source et nature du tissu cible suffit donc à caractériser la situation et il n'est donc pas étonnant que ce soit dans ce cas que l'on arrive à mettre en évidence des corrélations de bonne qualité. La situation se complique lorsque l'on rajoute des degrés de liberté au système. Même dans le cas "simple" des expositions gamma, l'ajout du paramètre temps (exposition flash ou exposition étalée sur de longues durées) change fondamentalement la situation. Les rares expériences disponibles montrent qu'une exposition purement gamma à faible débit de dose ne commence à avoir des conséquences visibles que pour des débits de dose importants. Par exemple des expériences récentes menées au CEFAS-Lowestoft sur des vers à bois ne montent aucun effet tant que le débit de dose reste au-dessous de 8 mGy par heure (l'irradiation a été poursuivie pendant 14 semaines), ce qui représente près de 100000 fois la composante gamma du bruit de fonds ambiant ! De tels chiffres font douter que l'exposition gamma à des débits de dose similaires à ceux de l'environnement (voire même deux ordres de grandeur au-dessus) puisse être en pratique un facteur de risque méritant d'être pris en compte dans un système de protection. Cela invalide par ailleurs assez gravement l'utilisation du bruit de fonds comme référence puisque justement dans le bruit de fonds naturel, la composante gamma continue, qui est sans doute ineffective, représente une fraction importante de la dose totale. La situation est encore plus complexe dans les cas d'exposition à des sources internes car il se rajoute alors des paramètres supplémentaires caractérisant la microdistribution de l'énergie libérée dans les tissus. Lorsque l'énergie est libérée localement, le voisinage du point d'émission du rayonnement va nécessairement être soumis à des flux de radiations plus importants (le flux est en gros inversement proportionnel au carré de la distance autour de chaque point source) que les zones éloignées. Cet effet sera d'autant plus marqué que le rayonnement aura un faible rayon d'action. Il n'y a donc pas de raisons de le craindre dans le cas de la composante gamma du rayonnement issu de sources internes. En revanche il peut se manifester pour les émetteurs alpha et bêta et encore plus pour des émetteurs à très faible rayon d'action comme les émetteurs Auger. Malgré tout, si l'émetteur radioactif est distribué de façon très homogène, les différents constituants du tissu cible, voire des structures sub-cellulaires, restent à égalité de risque. La dose fondée sur l'énergie moyenne reste donc vraisemblablement un concept valable, tout particulièrement en y introduisant un facteur correctif (le Wr) selon la nature du rayonnement. Par contre, et c'est là que réside la plus grande difficulté, si la forme chimique de l'émetteur est telle qu'il se lie de façon très sélective à certaines cibles, alors il faut faire entrer le paramètre sélectivité dans le mode de calcul de l'indicateur d'exposition. Cela conduit à la nécessité d'établir une relation concentration effet pour chaque radionucléide et pour chaque forme chimique qu'il peut présenter, ce qui fait perdre la simplicité du Sv et implique un effort expérimental important pour caler ces relations. Les considérations précédentes ne sont pas seulement théoriques puisque l'on dispose d'exemples chimiques montrant à quel point la sélectivité d'un toxique pour ses cibles peut avoir une importance considérable reléguant les questions d'énergie libérée au second plan. Par exemple la dose toxique LD50 de la toxine botulique est de 1ng/kg. S'agissant d'une très grosse molécule, (autour de 100000 daltons) le nombre de molécules nécessaires pour avoir un effet est particulièrement faible et l'énergie impliquée dans les réactions n'atteint même pas le nJ/kg. Si l'on calculait des Gy de la même façon que pour les toxiques radioactifs (une réaction chimique se réduit aussi à des liaisons qui se rompent et des liaisons qui se reconstituent) on trouverait donc des doses létales aussi basse que des nGy ! Ceci montre bien que l'applicabilité du concept de Sv est de plus en plus problématique lorsque la sélectivité du toxique s'accroît. Une attention toute particulière doit donc être portée aux émetteurs radioactifs à faible rayon d'action et dont la forme chimique peut laisser craindre qu'ils se lient de façon très sélective à certaines cibles. On a noté plus haut que la radioactivité naturelle est une mauvaise référence du fait qu'elle inclut une proportion importante de rayonnement gamma délivré à très faible débit de dose. Si l'on exclut le radon (qui n'est pas entièrement naturel car dépendant fortement de la ventilation des habitations), les autres composantes de la radioactivité agissant par voie interne n'ont pas le problème de répartition sélective soulevé plus haut. Aussi bien le K40 que le C14, qui sont les deux plus gros contributeurs à la dose interne, ont une répartition très homogène qui exclut que l'énergie puisse se concentrer sur des cibles très restreintes. Il est donc tout à fait possible que la plus grande partie de la radioactivité naturelle soit sans effet, ce qui n'est pas une caractéristique idéale pour un point de référence ! Dans le même ordre d'idée, on peut s'interroger sur les concentrations massiques indiquées par la CIPR et fixant le seuil pratique de la non radioactivité ("exclusion level"). On ne peut à la fois défendre l'idée que les Sv naturels et les Sv artificiels se valent et tolérer des concentrations d'émetteurs alpha différentes selon qu'ils sont naturels ou artificiels. A la lumière des considérations précédentes, on peut d'ailleurs penser que le paramètre pertinent n'est sans doute pas le caractère artificiel ou naturel mais plutôt la sélectivité de l'émetteur radioactif envers certaines cibles dans les scénarios de contamination interne. Les considérations scientifiques étant mises à part se pose la question pratique de la gestion opérationnelle du risque dans le contexte d'incertitude qui est inhérent à ce type de gestion. A cet égard, il me semble qu'une approche admettant plus clairement les manques de connaissances serait plus facilement explicable. La méthode "CIPR" part de quelques cas dans lesquels les effets sont établis, en déduit par extrapolation des relations dose-effet, fixe une cible d'effets socialement acceptables et enfin en déduit les doses limites à imposer par règlement. Une autre méthode pourrait être de se fonder sur ces mêmes cas pour lesquels on voit des effets, et de prendre ensuite une marge de sécurité pour éviter de se placer dans les situations où commencent les effets. C'est ce qui est fait en toxicologie où des facteurs de sécurité de 100 à 1000, par rapport aux essais de laboratoire, sont une pratique courante. L'avantage de cette méthode est que l'on ne prétend pas comprendre ce qui se passe au niveau des très faibles doses mais que l'on compense cette ignorance par des marges importantes. On peut remarquer que dans le cas de la radioactivité le résultat final n'est pas très différent de ce que préconise la CIPR puisque en gros on observe des effets à partir d'une centaine de mSv, ce qui en appliquant un facteur de sécurité de 100 à 1000 place les limites à respecter dans la gamme 0.1 à 1 mSv. L'avantage d'une telle méthode est néanmoins "pédagogique" : 1 ne pas entretenir l'idée fausse que les connaissances sont précises au point de pouvoir faire des "optimisations" fines 2 accorder le statut de référence à des situations dans lesquelles le détriment est observable plutôt qu'à des situations dans lesquelles le détriment est hypothétique 3 rappeler que dans toute gestion de risque, il reste un "pari" irréductible et qu'il faut s'en accommoder. Rien ne prouve qu'il n'existe pas un cas particulièrement grave qui n'a pas été découvert (si la toxine botulique peut agir pour 1nGy pourquoi un radionucléide particulièrement exotique ne le pourrait il pas aussi ?). Il arrive donc forcément un moment où la marge de sécurité repose sur le meilleur avis que puisse donner un expert ayant une connaissance suffisamment vaste de cas analogues (chimique et biologique inclus). Dans une situation pour laquelle le risque radioactif (hors accident) n'est ni un problème majeur, ni un problème en cours d'aggravation (la contamination radioactive d'un pays comme la France est plutôt en baisse) il paraîtrait logique de ne pas modifier sans justifications fortes un système réglementaire qui est déjà fortement protecteur. Mieux vaudrait tourner les efforts vers des études de base permettant une meilleure compréhension des situations les moins bien connues. A ce stade c'est plus une question de recherche qu'une question de réglementation et de mise en oeuvre de systèmes de surveillance. On ne peut que féliciter la CIPR d'ajouter l'environnement dans la liste de ce qu'il faut protéger, il serait bon de profiter de cet ajout pour réorienter la radioprotection vers des questions ouvertes telles que les phénomènes de bioaccumulation dans les écosystèmes et/ou des composants subcellulaires soumis à l'action de radionucléides sélectifs et à très court rayon d'action. Corrélativement, il serait sans doute bon de freiner les solutions de facilité intellectuelle consistant à réglementer et à surveiller tout ce qui est facilement mesurable (en particulier les sources d'exposition gamma à très bas débit de dose et les expositions internes homogènes par des toxiques non sélectifs) sans trop se préoccuper de l'utilité d'amasser de telles données. PS1 : ces remarques ne m'engagent qu'à titre personnel et non au titre de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire auquel j'appartiens. A titre d'information du lecteur, je précise que je ne me suis intéressé à la radioprotection qu'après avoir commencé par les questions d'environnement, je n'ai donc pas une vision de la radioprotection fondée sur une longue pratique exclusive. J'assume toute erreur due à ma connaissance imparfaite du sujet mais j'estime néanmoins que la radioprotection doit cesser de fonctionner en circuit fermé. PS2 : j'ai volontairement écris ce texte en français pour éviter des erreurs d'interprétation dues à la langue. Le français n'est pas la langue dominante en matière de radioprotection quoique l'implication de la France dans les programmes nucléaires devrait très logiquement en faire la référence au moins au niveau européen !


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